Histoire
du collège
(Le texte ci-dessous reprend
l’intégralité de l’article de Francis Collin
(rhéto 1972) paru dans L’Avenir du Luxembourg du 6 mars
1987. voir l’original ici)
Bastion de la tradition classique, refuge des poètes, philosophes et
historiens antiques, le Collège Saint-François abrita pendant les
trois-quarts du siècle dernier, des dizaines de jeunes venus s’abreuver
de cette culture gréco-latine, de cet humanisme chrétien, sous la
houlette des Pères Franciscains.
De Lokeren à Marche-en-Famenne
A partir de 1888, les jeunes garçons de Flandre et de Wallonie qui
désiraient devenir Franciscains devaient suivre les humanités
gréco-latines au collège « Sint-Antonius »
à Lokeren ! Toute une expédition pour les petits et leurs
parents. Aussi, les Franciscains wallons envisagèrent-ils
d’ériger un collège séraphique dans la partie
méridionale du pays. Il faudra attendre 1913 pour que cette idée
prenne corps. En face du couvent franciscain de Salzinnes (Namur), une
demoiselle disposait d’une modeste maison. Elle accepta de la
céder aux Franciscains moyennant 650 francs l’an. En octobre 1913,
le collège séraphique Saint François d’Assise
naissait à Salzinnes ; le Père Adrien Vanderhoeven
était nommé premier recteur du collège
Entretemps, en 1903, les Carmes de Saint-Omer, exilés de France
achetaient une propriété appartenant au baron de Bonhomme. Ils
agrandirent l’immeuble en reliant le château à ses
dépendances. Ils y installèrent un couvent, un noviciat et un
petit collège apostolique.
En 1920, ils décident de rentrer en France et le collège
apostolique ainsi que le noviciat sont transférés à
Tarascon.
Les bâtiments de la rue Victor Libert étant dès lors
mis en vente,
Les pères Egide et Raymond étant venus prêcher la
mission à Marloie chez l’abbé Darras, celui-ci leur donne
le renseignement. De fil en aiguille, les tractations sont menées entre
les généraux des deux ordres.
Dès le 2 novembre 1920, les Franciscains entrent en possession de la
maison. L’inauguration du Collège Saint-François a lieu le
25 janvier 1921. Il compte à ce moment 25 élèves :
trois en 7ème, six en 6ème, sept en 5ème,
trois en 4ème et 6 en 3ème. La
première distribution des prix se déroule le 4 août.
C’est alors l’époque des constructions : le bloc du
collège en béton cellulaire armé, avec la salle de
gymnastique et les douches en 1924. Un autre bloc en béton avec les
salles réservées à la philosophie et à la
théologie est occupé en 1927.
Des moments privilégiés :
Déjà à cette époque, l’année
scolaire compte deux journées-clefs, les 4 octobre (fête de Saint
François) et 6 décembre (Saint Nicolas).
En 1926 – c’était le 700ème
anniversaire de la mort de Saint François – après le
déjeuner du matin, le Père Adrien (premier recteur du
collège) proclame la promenade pour toute la journée. Une
promenade d’une trentaine de kilomètres qui conduit professeurs et
élèves à travers bois et hameaux jusqu’à
l’ermitage de Saint-Thibaut sur les hauteurs de Marcourt. Une
« première » qui allait devenir une classique.
Chaque année (sauf au cours de la guerre), tout le collège se
préparait pour cette « balade ». Les
aînés partaient de l’avant pour préparer le
pique-nique. C’était aussi l’occasion, pour les sportifs de
pratiquer le cross sur les dix derniers kilomètres. Gare aux
éclopés ou épuisés qui devaient reprendre le tram
ou la voiture-balai ! Mais jamais la douche du soir et la bonne soupe
ardennaise ne paraissaient aussi requinquantes. Lors des Saint-Thibaut
d’après guerre, il y avait interdiction formelle de toucher
à quoi que ce soit sous peine de renvoi, le bois de Marcourt
étant miné.
C’est l’occasion de voir tour à tour un Saint Nicolas
arriver en hélicoptère, en corbillard, dans un cercueil ou en
ambulance. Une fois même il s’amène sur une moto conduite
par le docteur Pierre Ledoux et le brave saint se trouve éjecté
de l’engin à l’entrée de la salle
d’étude. Une autre fois, un second saint
« givré » est introduit dans la salle par des amis
marchois sous le regard d’un Père Recteur bien
ennuyé…
Refuge de tous durant la guerre
Le rectorat du Père Conrad, passionné de
théâtre et de littérature, dure de 1928 à 1931. Lui
succède le Père Chrysologue qui avait déjà
supervisé les nouvelles constructions.
En 1935,
Avec la mobilisation et la guerre, le collège
devient tour à tour le siège de tout ce qui porte uniforme. Les
Allemands en font un « lazaret ». Dans la suite, les
Anglais et les Américains, les Canadiens et même les inciviques
trouvent refuge dans les bâtiments. Il devient également le
rendez-vous des gens du quartier qui s’y refugient dans les caves. Il est
encore un refuge pour les résistants et surtout une destination
rêvée pour tous les soldats souhaitant prendre un bon bain. De
Malmédy et d’ailleurs, ils y arrivent par camions entiers rien que
pour passer sous la douche.
La plupart des élèves ont été
renvoyés dans leurs foyers. Les professeurs, eux se relayent pour
prodiguer certains cours. Une partie du collège est même
prêtée aux responsables de l’Athénée Royal de
Marche lorsque leurs bâtiments sont aussi réquisitionnés
par l’occupant. L’établissement disposant d’une
rotative, celle-ci est utilisée pour l’impression de tous les
papiers que le Secours d’hiver distribue aux Marchois au cours de cette
période.
Durant l’offensive des Ardenne, les G.I’s
reçoivent armes et munitions dans la cour du collège. Quelques
heures plus tard, ils se font abattre sur les hauteurs de Verdenne, certains
revenant profondément meurtris dans leur chair.
Le calme revenu
La paix retrouvée, le collège Saint François aspire,
comme toutes les institutions au calme et songe à panser ses plaies
matérielles.
Jusqu’en 1948, le Père Chrysologue, bâtisseur né,
s’efforce de réparer la cour broyée et
émiettée par les chars, de renouveler une partie du
matériel, tous les matelas portant notamment les traces de sang des
blessés.
La vie calme, sereine, un peu austère revient petit à petit.
Au rythme des bottes succède le rythme qui semble immuable d’un
horaire bien minuté : au delà d’un humanisme bien
nourri allié à un exercice de la volonté, le goût
des études, des lectures, agrémenté par des pièces
de théâtre, des chorales aussi bien que des grandes promenades.
Aussi, le collège essaie-t’il de refermer ses portes sur les
bruits du monde et de restaurer la formule qui avait si bien réussi
avant 1940.
Le Père Chrysologue veille non seulement au sérieux et
à la rigueur des études mais marque ses élèves
d’une empreinte chrétienne et d’une formation dont plus
d’un a gardé un grand souvenir. A ce moment, le collège
atteint déjà le maximum de sa contenance avec quelque 120
élèves pour sept années.
De cette époque date la volonté de mettre des chambres
individuelles à la disposition des élèves de Poésie
et de rhétorique. Il était pénible en effet pour ces
aînés d’aller dormir à 20 H 45 même si le lever
était programmé à 6 H.00. Il fallut toutefois quelques
années et quelques millions pour réaliser ce rêve.
Le Chapitre provincial de 1948 ayant désigné le Père
Chrysologue comme Père Maître des Novices à Salzinnes, le
Père Emmanuel Delchambre est appelé à la direction du
collège de 1948 à 1950. Puis le Père Augustin Pisvin lui
succède de 1950 à 1952.
Le Père Gédéon, une passion de plus de 60 ans
En 1952, le Père Gédéon est, à son tour,
appelé à la direction du collège. Un collège
qu’il a suivi depuis ses débuts, y effectuant d’ailleurs ses
humanités à partir de 1924.
Passionné de pêche et d’apiculture, ce gaumais
d’origine marque de sa personnalité plusieurs
générations d’élèves. Il reste au gouvernail
pendant vingt ans, avant de goûter une douce retraite dans les
bâtiments qu’il a vus naître.
Son rectorat est d’abord marqué par l’aménagement
du bassin de natation. L’étang situé dans le marc est
complètement vidé par une petite équipe d’italiens
de la maison : Adalino, Pascale et Pietro. Les mercredis et samedis
après-midi, des équipes de volontaires sortent ainsi
Des années encore marquées par l’agrandissement des
bâtiments : la chapelle, le réfectoire des
élèves, avec un étage occupé par les Pères
et la bibliothèque. Et puis surtout une toute nouvelle salle omnisports,
abritant douche, scène et divers ateliers où, sous la direction
des plus grands, les jeunes collégiens s’initient à
diverses techniques artisanales.
En 1963, la communauté franciscaine compte encore douze religieux
professeurs. Un pas a toutefois été franchi en 1958 avec
l’arrivée du premier professeur laïc à temps plein,
Monsieur Hubert Neu (professeur de langues) qui rejoint Monsieur André
Petit (professeur de gymnastique à temps partiel.
C’est aussi l’ouverture à quelques jeunes marchois. En
effet, pour permettre aux élèves de gréco-latines externes
de l’Institut Saint-Remacle de continuer leurs études sur place,
l’Evêché de Namur demande aux responsables du collège
de les accepter comme externes après la 4ème
gréco-latine.
Mais toujours la même philosophie de base : entre les textes de
Hugo ou de Villon, l’Enéide ou l’Odyssée, les
exploits à la récré et la première cigarette (de
19H00 à 19H30 pour les aînés), le rush vers le foyer
paternel le samedi à 13H00 une fois par quinzaine, c’est le
merveilleux apprentissage de la vie en communauté.
En 1972, suite à une décision du chapitre, le Père
Gédéon cède le relais au Père Mathieu Smolders. Un
relais qui allait être le dernier.
La fusion avant la disparition
Le collège refusant toujours du monde, il fallait
d’abord se soumettre à un examen d’entrée des plus
minutieux. Et puis arrive ce fameux
« Rénové ».
Avec lui, la semaine des cinq jours. Alors que la
majorité des élèves viennent de tous les coins de Belgique
(même Anvers et Bruxelles), cette situation entraîne les parents
à éviter des déplacements devenus trop nombreux. Quant aux
« régionaux », ils misent d’abord sur
l’externat.
Et puis les restrictions ministérielles :
l’élaboration d’un tas d’options, de sections que le
collège ne peut ouvrir puisqu’elles existent déjà
dans d’autres écoles voisines. Un collège qui se retrouve
pratiquement « déplumé » de ses
caractéristiques premières : en 1982, les
éléments ne permettent plus aux responsables de continuer leur
mission éducative telle qu’ils le souhaitent. Seule la fusion avec
le voisin, l’Institut Saint-Remacle permet de reprendre des
élèves. Une fusion maximale puisqu’elle englobe la reprise
pure et simple des professeurs et des élèves.
Les derniers Franciscains quittent leur paradis. Le
chapitre provincial nomme le Père Matthieu à un autre poste.
C’est la suppression pure et simple de la communauté
éducative franciscaine.
Pendant un certain temps, les Père
Gédéon et Jean-François, figures familières aux
marchois occupent encore les lieux ; une partie des bâtiments est
habitée par des élèves de l’école voisine.
Puis, la mise en vente de la propriété et de ses installations
d’enseignement et de sport est décidée. C’est la
ville de Marche qui se portera acquéreur de l’ensemble et à
partir de 1988, une partie des services communaux y sera installée.
Le Père Jean-François part pour le couvent
de Bertrix ; le Père Gédéon ne quittera Marche que
dans les derniers mois de sa vie. Il mourra à Bruxelles le 14
février 1992.
Le 2 décembre 2005, c’est le Père
Serge de Radzitzky d’Ostrowick, titulaire de la classe de
rhétorique de 1956 à 1972 qui décède à son
tour. Avec lui, c’est encore une partie du collège qui
disparaît à jamais. Le Père Jean-François
décède à Bertrix le 3 juillet 2009. Le Père Anselme
reste la seule figure historique du collège encore en vie.