Cette
spécialité de la maison, peut-être unique en Belgique,
était célébrée au collège depuis 1927.
Jusqu’à la fin du rectorat du Père Gédéon,
elle adoptait toujours la même formule : le 6 décembre,
après le goûter de 16 heures, les élèves attendaient
dans la cour de récréation l’arrivée de Saint
Nicolas. Celui-ci faisait son entrée accompagné de ses
« diables » tous armés de vessies de porc (la
tradition voulait qu’à ce moment les élèves se
mettent à chanter Au zoo rhétos, au zoo rhétos,
au zoo !) ; le Grand Saint convoquait les élèves
dans la salle d’études (ou sur la scène de la salle des
fêtes) et s’installait sur son trône pour rendre ses
jugements.
La séance commençait
par un assaut fougueux des diables qui distribuaient de généreux
coups de vessies de porc sur le dos des élèves. Ensuite
c’était l’appel d’un certain nombre «d’indécrottables»
contraints de s’agenouiller devant le Grand Saint qui
énonçait les reproches du ciel à leur encontre avant de
rendre un jugement de condamnation. Parfois, dès le début de
l’admonestation, l’un ou l’autre élève se
doutait que c’était à son tour de comparaître et on
le voyait alors jaillir des bancs pour venir aussi vite que possible entendre
ce qu’on lui reprochait: il est vrai que les diables ne manquaient pas de
se manifester par quelques coups de vessie sur son passage si le futur
condamné était trop lent à se reconnaître dans le
portrait peu flatteur que Saint Nicolas allait tracer de lui.
En fin de séance
–régulièrement ponctuée par quelques assauts des
diables châtiant collectivement l’assemblée - Saint Nicolas
appelait près de lui quelques «enfants sages» dont il faisait
l’éloge avant de leur remettre un menu cadeau. Puis il regagnait
le ciel non sans prier ses diables d’adresser en son nom une
dernière admonestation musclée aux élèves
rassemblés.
La préparation de la Saint
Nicolas, confiée aux rhétoriciens, commençait dès
septembre ; il fallait aller chercher les fameuses vessies à
l’abattoir de Marche –c’était le Père Serge qui
se chargeait de cette tâche-, les faire sécher, les gonfler au
moyen de pompes à vélo afin de les transformer en ballons et de
les rendre ainsi « aptes au service ».
Quelques jours avant la date
fatidique de décembre paraissait une édition spéciale de FAMA, le journal du collège dans laquelle on pouvait
trouver un faire-part désignant sous forme (à peine) codée
un certain nombre d’élèves qui devaient logiquement
s’attendre à comparaître devant le trône
céleste. La veille du grand jour, le Père Gédéon nous lisait à la salle
d’études une lettre que le Ciel lui avait adressée. Comme
on le voit, on traitait de puissance à puissance. Dans cette lettre, le
Saint tout en tressant une couronne au Père Recteur ainsi qu’aux
rhétoriciens s’emportait contre le sempiternel relâchement
de la discipline. Ce contre quoi l’assemblée ne manquait pas de
protester en interrompant régulièrement la lecture de la lettre
par de tonitruants : « C’est
un faux », seul
véritable chahut que le Père Gédéon
tolérait. Un soir, en plein milieu de la lecture de la lettre de Saint
Nicolas, la porte intérieure de la salle d’études
s’ouvrit et l’on vit entrer précipitamment un jeune homme
ensanglanté qui eut juste le temps d’expirer au milieu des
travées en brandissant une lettre. Très calme – on a des
nerfs ou on n’en a pas- le Père Gédéon demanda
qu’on la lui apporte et commença à la lire. Elle
était signée du « Vrai
Saint Nicolas » et le chahut reprit de plus belle. Bien
sûr, c’était un coup des poètes…..
La préparation de la
cérémonie n’était pas une tâche si
facile ; il fallait non seulement préparer les vessies mais aussi
écrire le discours de Saint Nicolas, la lettre au Père Recteur, définir
la liste de ceux qui seraient appelés à
« comparaître », choisir qui parmi les
rhétoriciens jouerait le rôle de Saint Nicolas (objet de beaucoup
de supputations de la part des élèves) et –surtout- faire
travailler son imagination afin de ménager au Grand Saint une
entrée originale dans la cour du collège. On a ainsi vu au cours
des ans une apparition de Saint Nicolas en hélicoptère (!), dans
un corbillard, dans un cercueil, en ambulance ; il a été également
reçu par Jules César en personne et délivré des
légions romaines par Astérix et Obélix.
La rhétorique des années 1962-1963 réalisa
l’entrée peut être la plus originale : 8 Saint Nicolas
différents, joués par les 7 rhétoriciens de la classe,
plus un jeune Italien de la cuisine se retrouvèrent dans la salle
d’études mais 7 Saint Nicolas avaient en fait à faire
ailleurs. Ils quittèrent donc progressivement la salle et en fin de
compte, il n’en resta plus qu’un –le seul, le bon, le vrai
Saint Nicolas-pour accomplir son travail
purificateur. (Merci à Louis Pétron –rhéto 1963- pour cette anecdote).
A partir de la rhétorique
1972-1973, sous le rectorat du Père Matthieu, la Saint Nicolas adopta
une autre forme ; comme les rhétoriciens de l’époque
l’expliquèrent dans le FAMA de rigueur
à cette date, il s’agissait pour les promoteurs de cette nouvelle
formule de « rendre à
cette fête son sens réel, c’est-à-dire la fête
de tous ». La Saint
Nicolas ne devait plus être le « moment propice pour se venger d’avoir pendant 5 ou 6 ans
reçu des coups de vessie » et donc « l’esprit revanchard »
fut désormais banni jusqu’à la fin de l’histoire du
collège. Il n’y eut donc plus de
« diables », plus de vessies sinon quelques-unes à
titre décoratif. Finalement, y a-t-on gagné ou perdu ?
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